I. Rens: Itinéraire d’un universitaire genevois

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Titel
Itinéraire d’un universitaire genevois.


Autor(en)
Rens, Ivo
Erschienen
Bruxelles 2009: Bruylant
Anzahl Seiten
404p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Jacques Grinevald

Professeur honoraire de l’Université de Genève, Ivo Rens – qui vient de se plier à l’autodiscipline de ce genre hybride qu’on appelle l’ego-histoire en publiant un élégant volume de mémoires modestement intitulé Itinéraire d’un universitaire genevois – n’est pas un inconnu dans les milieux universitaires. Nombre de juristes, d’internationalistes, d’historiens des idées politiques ou sociales, voire les fidèles lecteurs de la Revue suisse d’histoire seront probablement curieux de découvrir comment un jeune et brillant intellectuel, aux racines belges et algériennes mêlées (avant l’indépendance de l’Algérie) s’engagea corps et âme, dès les années 1970, dans l’un des mouvements pacifistes et écologistes parmi les plus significatifs de l’histoire du «nouvel âge nucléaire»: la lutte – finalement victorieuse (en 1998) – contre le fleuron de la technocratie nucléaire française.

Une vingtaine d’années après le fameux manifeste Russell-Einstein (qui ne concernait pas les applications pacifiques de l’énergie atomique!), Ivo Rens, alors professeur d’histoire des doctrines politiques à la Faculté de droit de l’Université de Genève, réunissant un comité prestigieux et de très nombreuses signatures à travers toute l’Europe, fut la cheville ouvrière de l’Appel de Genève contre le surgénérateur Superphénix de Creys-Malville (Isère). La Gazette de l’APAG, organe de l’Association pour l’Appel de Genève fondée en 1978, fut transformée, en 1990, en une grande revue, Stratégies énergétiques, Biosphère et Société (désormais disponible en ligne), puis donna naissance à une collection de livres. Labeur énorme, bien au-delà du seul combat anti-nucléaire, héroïque aussi par son interdisciplinarité et sa vocation à promouvoir la «problématique mondiale» (Aurelio Peccei), à contre-courant de l’optimisme historique de l’idéologie du progrès et de la croissance, mené de front en plus de ses multiples responsabilités académiques par l’auteur de cet Itinéraire singulier.

Après son expérience diplomatique et internationale à l’Union interparlementaire (UIP), ponctuée de voyages outre-mer, et un passage, en Belgique, au cabinet du vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères Paul-Henri Spaak, Ivo Rens, devenu père de famille, opta finalement pour la Faculté de droit de l’Université de Genève, où il fit, à partir de 1965, une rapide et brillante carrière de professeur d’histoire des doctrines politiques. Au début des années 1970, il fut élu président de l’Association des professeurs (APUG), favorable à la participation (avec les étudiants, assistants, chercheurs, personnel administratif); il fut aussi deux fois (1974–76 et 1991–93) président du nouveau Conseil de l’Université, jouant un rôle clé dans la mise en oeuvre de la participation. A ce titre, les mémoires d’Ivo Rens feront partie des archives pour les futurs historiens de l’évolution de la vie universitaire suisse après Mai 68.

Juriste de formation et philosophe de vocation, notre historien des idées retrace avec précaution (car il sait «assez combien la mémoire est non seulement sélective mais faillible») les moments les plus décisifs de son enfance – il est le fils aîné de Jef Rens, socialiste et syndicaliste belge qui entrera dès 1944 au BIT, alors à Montréal jusqu’en 1948 – et de sa «jeunesse itinérante». Il s’agit des pages à mon sens les plus émouvantes, non seulement sur son père et sa mère (institutrice française d’Algérie), sur sa famille et ses proches, mais aussi par l’évocation – évidemment rétrospective! – de l’éveil d’une conscience par temps de guerre. Dans cette éducation, nullement négligée, mais très dispersée sur trois continents et en plusieurs langues, notre futur pacifiste souligne son curieux refoulement, des années durant, du choc Hiroshima et Nagasaki: déni d’une réalité si horrible qu’elle dépasse l’entendement. Ce témoignage n’est pas une exception! Notre historien des idées se rattrapera ensuite, pour ainsi dire, en animant, avec l’un de ses assistants (le signataire de cette recension), un séminaire sur «les fonctions idéologiques du catastrophisme», intitulé ensuite «Catastrophisme et écologie politique», bien avant que l’écologie devienne la préoccupation planétaire que l’on sait.

Dans les limites d’un simple compte-rendu, il est évidemment impossible de souligner toute la richesse psychologique, historiographique et philosophique que recèle cet ouvrage dont le dernier chapitre, qui rappelle les événements du 11 septembre 2001, s’intitule «Par delà la catastrophe». Peut-être est-ce l’esquisse d’un autre grand livre, plus proche de la prospective que de la rétrospective? Last but not least, ce remarquable volume de souvenirs contient quatre annexes (p. 333–401) qui sont chacune le résumé d’un livre en soi, notamment à propos d’Hippolyte Colins (le socialiste utopiste qu’Ivo Rens a tiré des oubliettes de l’histoire) et l’argument ontologique (pour prouver rationnellement l’existence de Dieu), et enfin, de «la fin du pétrole bon marché» et de la décroissance (au sens du grand Georgescu-Roegen).

Citation:
Jacques Grinevald: compte rendu de: Ivo Rens: Itinéraire d’un universitaire genevois. Bruxelles, Bruylant, 2009. Première publication dans: Revue Suisse d’Histoire, Vol. 60 Nr. 4, 2010, p. 502-504.

Redaktion
Veröffentlicht am
06.03.2012
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Die Rezension ist hervorgegangen aus der Kooperation mit infoclio.ch (Redaktionelle Betreuung: Eliane Kurmann und Philippe Rogger). http://www.infoclio.ch/
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